SAPIGNEUL, mémoire d'un village disparu
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Les fusillés de Maizy (02)

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Message  David.H 4/10/2013, 12:57

Bonjour, :poilu:

Voici le récit d'incidents qui conduisit à l'exécution de 3 poilus.

Les fusillés de Maizy (02) Memoir10

http://www.chemindesdames.fr/pages/actus/Lasplacettes_combattant_grande-guerre.htm

Jean-Louis LASPLACETTES,
combattant de la grande guerre (18e RI)


Le 12 juin 1917, à Maizy, sur l’Aisne, le 2e classe Jean-Louis LASPLACETTES, 30 ans, originaire des Basses-Pyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques) est fusillé par un peloton. L’exécution a lieu dans un pré, à côté du cimetière communal dans le haut de ce village situé dix kilomètres au sud de la partie orientale du Chemin des Dames. Aux côtés de LASPLACETTES, sont alignés Casimir CANEL et Alphonse DIDIER, deux autres soldats du 18e RI, le régiment de Pau engagé au début du mois de mai dans les combats acharnés pour la prise des plateaux de Californie et de Craonne.

Les trois hommes ont été condamnés à mort quelques jours plus tôt, le 7 juin, par le Conseil de guerre de la 36e division, pour leur participation à une révolte de soldats. L’incident a lieu, dans la soirée du 27 mai, à Villers-sur-Fère, à une cinquantaine de kilomètres au sud des premières lignes. Il a pour origine l’annonce de la montée en ligne du 18e RI. Une centaine de soldats du 2e bataillon manifestent par des cris et des menaces avec arme leur refus de remonter au Chemin des Dames, d’où le régiment a été relevé le 8 mai, après avoir perdu plus de 1 000 hommes : 548 soldats tués ou disparus et 529 blessés, 36 sous-officiers et officiers tués, blessés, disparus [Dans L’Abbé Bergey, B. Bordachar, Paris, Grasset, 1950, cité par Denis Rolland].

Après une nuit d’agitation, au petit matin du 28 mai, le calme est revenu. L’incident a été court, mais émaillé de coups de feu. Des menaces ont été proférées. La prévôté a dépêché sur place trente gendarmes. Et la population de Villers-sur-Fère a été témoin du défilé dans la rue d’un cortège de militaires entonnant L’Internationale et brandissant un drapeau rouge.

A l’aube du 12 juin, à Maizy, un quatrième homme, condamné à mort lui aussi, n’est pas dans le pré. Il s’agit du caporal Vincent MOULIA, parvenu à s’évader la veille de l’exécution, favorisé dans son entreprise par le hasard d’un bombardement allemand sur le secteur de la ferme de Maizy, lieu de détention des condamnés. Un cinquième fantassin, également condamné à la peine capitale par le conseil de guerre de la 36e DI, a pu bénéficier d’une atténuation de peine. Fidèle CORDONNIER est le seul dont le recours en grâce auprès du Président de la République ait abouti. La sanction à son encontre est commuée en une peine de 20 ans de prison. Les trois autres demandes, introduites par les juges au bénéfice de LASPLACETTES, CANEL et MOULIA, ont échoué.


Jean-Louis LASPLACETTES présente de très bons états de service. Son registre de matricule contient cette appréciation : « excellent soldat depuis le début de la campagne, toujours volontaire pour des missions périlleuses ». Le 19 avril 1917, un mois avant les incidents de Villers-sur-Fère, il obtient une citation à l’ordre du régiment pour avoir « le 16 avril, faisant partie d’une patrouille, fait dix-sept soldats et un officier prisonniers ». Quand débute l’offensive du Chemin des Dames, à la mi-avril 1917, il a à son actif trente mois de campagne.

Avant-guerre, il exerce le métier de cultivateur à Aydius. Son village natal, situé à 788 mètres d’altitude, aux confins de la vallée d’Aspe, non loin de la frontière espagnole, compte alors près de 500 habitants (une centaine aujourd’hui). Célibataire et sans enfant, sa fiche militaire le mentionne comme soutien de famille, vraisemblablement parce que son père étant malade, il subvient aux besoins de ses parents dont il est le fils aîné. LASPLACETTES possède un niveau d’instruction 3, selon sa fiche militaire, il sait lire et écrire. Sa petite-nièce, Martine Lacout-Loustalet a retrouvé une photo du soldat LASPLACETTES, mais aucune trace d’une éventuelle correspondance de ce dernier avec ses parents.

Les incidents
Dans son ouvrage « La grève des tranchées » (1), Denis Rolland donne un récit détaillé de la mutinerie du 27 mai 1917 à Villers-sur-Fère. Le déroulement qu’il reconstitue et les informations qu’il met en perspective sont principalement le fruit des investigations alors diligentées par les autorités militaires.

Le 18e RI cantonne à Villers-sur-Fère à partir du 12 mai. Au hameau de La Folie, un débit de boissons fait face aux baraques dans lesquelles sont logés les soldats du 2e bataillon. Il est appelé Au rendez-vous des poilus. Il est tenu par la mère du soldat Assailly, ordonnance d’un officier du 267e RI, régiment de réserve du 67e de Soissons.

C’est dans ce café, où les soldats ont leurs habitudes le soir autour de 18 heures, que circulent informations, rumeurs et ragots qui préludent aux incidents du 27 mai : « des hommes du 267e viennent […] prendre un verre au café Assailly. Ils y rencontrent ceux du 18e RI ; ils leur racontent les événements survenus au 162e RI […] Ils les engagent à ne pas retourner aux tranchées et prétendent que leur division a obtenu un long repos en refusant de marcher ». [Dans La Grève des tranchées, Denis ROLLAND].

Un sujet en particulier focalise toutes les attentions et échauffe les esprits, c’est la perspective d’un prochain retour aux tranchées. Perspective qui est confirmée le 27 mai. Le départ du 18e RI pour Beaurieux, à bord de camions, doit avoir lieu le soir même. Les incidents débutent vers 18 heures par une première manifestation de refus. La tension retombe, puis remonte dans la soirée. Défilé dans les rues, coups de feu, intimidations et menaces contre ceux qui veulent embarquer, cris séditieux, tentative d’entrave au départ des véhicules… l’agitation se prolonge au cours de la nuit. Finalement, au petit matin, alors qu’une trentaine de gendarmes ont été dépêchés par la prévôté, les derniers soldats manifestants, cinquante à soixante, finissent par accepter de grimper à bord des camions. Lesquels parviennent sans plus de difficulté à Beaurieux en fin de matinée.

Deux enquêtes
Le 2e bataillon apparaît au cœur des incidents qui ont émaillé dans une grande confusion la soirée et la nuit du 27 au 28 mai. Denis Rolland rapporte que deux enquêtes sont menées : l’une interne au 18e RI, l’autre dans le village pour tenter de cerner l’influence qu’aurait pu avoir la population sur l’état d’esprit des soldats. Au total 130 arrestations sont opérées au sein du régiment. Douze soldats sont déférés devant le conseil de guerre de la division. Quatorze sont affectés dans les sections spéciales d’infanterie au terme de soixante jours de prison. Trente-sept autres soldats sont punis de soixante jours de détention et soixante-sept de trente jours [Dans La Grève des tranchées, Denis ROLLAND].

Le conseil de guerre prononce cinq condamnations à mort dont les motifs sont repris dans l’ouvrage de Denis Rolland. Pour Jean-Louis LASPLACETTES ils sont ainsi exposés : « Au moment du rassemblement de sa section a appelé un groupe de manifestants pour empêcher ce rassemblement. Tirait des coups de feu dans la direction de la section qui se disposait ; a menacé de coups de fusil des camarades qui refusaient de se joindre à la manifestation ». Les accusés invoquent l’influence de l’alcool sur leur comportement, élément corroboré par les témoignages recueillis au cours des investigations, et sollicitent d’être envoyés en première ligne pour pouvoir se racheter.

Un recours en grâce est établi pour quatre des condamnés. Dans le cas de LASPLACETTES, il est introduit par trois des cinq juges. Nicolas Offenstadt rappelle dans « Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective » (2) que ces derniers n’ont pas le choix de la peine dès lors que les faits sont établis et le délit constitué. La demande de grâce peut apparaître alors comme un moyen de rechercher une proportionnalité de la sanction, comme l’illustrent les termes de la sollicitation formulée, le 7 juin 1917, au bénéfice de Moulia : « Considérant qu’en présence d’un fait matériel incontestable et du texte absolu de la loi, il ne leur pas été possible d’abaisser la peine dans les limites qui la rendent mieux en rapport avec la nature et la gravité des faits incriminés. Considérant que tout l’effet moral qu’on devait attendre a été produit par le prononcé de la peine. Considérant qu’il y a lieu de recommander le dit Moulia à la clémence de M. le président de la République » [Dans Les Fusillés de la Grande Guerre. Nicolas OFFENSTADT].

« L’instruction sera forcément incomplète et mal établie »
Denis Rolland s’interroge sur le fait de savoir si les états de service des condamnés à mort peuvent expliquer la sévérité du tribunal. S’agissant de LASPLACETTES, il pointe une contradiction entre le jugement peu amène émis par le capitaine lors de son audition, et le dossier militaire du soldat qui, au contraire, contient de très bons renseignements. Mais en définitive, il conclut que la sévérité du conseil de guerre se fonde sur la violence qui s’est manifestée au cours de la révolte, attestée par les coups de feu, ainsi que sur son caractère prémédité qu’accréditeraient des témoignages.

Le dossier dont dispose le conseil de guerre est conséquent. Les témoignages sont nombreux. Si « l’enquête » n’apparaît « pas expéditive comme ce fut si souvent le cas au début de la guerre […] elle ne satisfit pas pour autant, selon certains officiers, aux conditions d’une justice équitable », constate cependant Nicolas Offenstadt, citant à l’appui dans son ouvrage cette appréciation du chef de bataillon : « Il est absolument impossible de faire une enquête dans les conditions où nous sommes. Toute l’instruction aurait demandé du temps et des moyens que je n’ai pas, elle sera forcément incomplète et mal établie – il est certain que des coupables, et non des moindres peut être, sont encore dans le rang et ne sont pas inculpés » (6 juin 1917). Pour cet officier, des doutes subsistent : « Ceux qui, à mon avis, furent les véritables meneurs ne sont pas l’objet d’une plainte en conseil de guerre, ce sont des éléments étrangers au corps qui sont venus faire une propagande dans la journée du 27 et peut être les jours précédents. Ils ont trouvé quelques partisans au 18e et en ont entraîné d’autres en les faisant boire. Les quelques hommes qui ont suivi les meneurs de leur plein gré se sont bien gardés de s’enivrer, c’est ainsi que la plupart d’entre eux, après avoir déchaîné le mouvement, se sont joints aux troupes remontantes » (2 juin 1917). [Dans Les Fusillés de la Grande Guerre. Nicolas OFFENSTADT].

Le rôle du 267e RI
Ce scepticisme renvoie probablement au rôle joué par le 267e RI alors qu’au terme des investigations, les poursuites visent exclusivement le 18e RI et, en particulier, ceux de ses soldats qui manifestaient encore au petit matin du 28 mai.

Dans sa relation des événements, Denis Rolland évoque à plusieurs reprises l’influence de certains éléments du 267e dans le déclenchement de l’épisode de refus, le 27 mai : « Toute la journée, on voit des soldats du 267e RI venir dans les cantonnements de La Folie parler avec leurs camarades du 18e RI […] Ceux du 267e RI qui sont revenus vers 21 heures leur font croire toutes sortes de ragots pour les inciter à ne pas embarquer dans les camions. Ils leur répètent que le 267e, en refusant de marcher, a obtenu un long repos et que, s’ils acceptent de partir, des mitrailleuses tireront sur eux en route ».

Devant le conseil de guerre, Moulia déclare : « Si je n’avais pas été saoul, je n’aurais pas fait cela… Il n’y a pas eu d’entente, mais dans la journée du 27, le bruit s’est répandu que le 18e montait en ligne, à la place du 267e, qui avait refusé, bruit colporté par les militaires de ce régiment ». [Dans Les Fusillés de la Grande Guerre. Nicolas OFFENSTADT].

L’affaire du 18e RI dans les notes d’un sous-lieutenant du 49e RI
Illustration de la manière dont l’information circule d’une unité à l’autre, le sous-lieutenant Arnaud Pomiro, qui participe alors aux combats du Chemin des Dames, fait état à plusieurs reprises de l’affaire du 18e RI. Dans ses notes, il consigne les nouvelles, employant le conditionnel pour celles qui émanent de sources non officielles (3).

Le 27 mai : « Le 18e doit être embarqué le 28 à minuit pour se porter à Beaurieux et à Maizy. On laisse une paix royale aux troupiers ».

Le 28 mai : « Nous apprenons des choses très graves sur le 18e régiment d’infanterie. Au moment de l’embarquement, des troupiers d’un bataillon auraient refusé de partir en poussant les cris de : “Permissions, croix de guerre“. Des balles auraient été tirées par des fusils et des fusils-mitrailleurs. On ne parle pas de mal. Des autos passent très espacées dans la matinée, portant des poilus du 18e que l’on entend crier : “Marchons pas. Permissions. Croix de guerre.“ Pour un régiment qui avait la cote… J’ignore si nos poilus sont au courant de ces faits, mais j’ose espérer que pareils faits ne se reproduiront pas chez nous ».

Le 30 mai : « J’apprends dans le courant de la journée que le 34e a la fourragère et que le 18e se l’est fait enlever par les incidents cités plus haut. Seize arrestations y auraient été faites ».

Le 31 mai : « Au 18e le nombre d’arrestations aurait augmenté et serait actuellement de trente ».

Le 10 juin : « A mon retour au PC […] j’apprends également que les incidents qui se sont produits au 18e ont eu leurs sanctions : quatre (dont un caporal clairon qui avait sonné le rassemblement des mutinés) sont condamnés à mort. Les autres, au nombre de quinze, sont condamnés à cinq, dix ans de travaux forcés. Encore une fois, ce ne sont pas les véritables fautifs qui sont punis. Justice, justice, quand donc est-ce que tu seras de ce monde ? ! ».

Le 13 juin : « J’ai appris qu’un caporal du 18e, un nommé Moulia, condamné à mort, s’est échappé de Beaurieux sans pouvoir être appréhendé ».

Le 14 juin : « J’ai appris dans le courant de la journée que trois des fusillés du 18e sont enterrés au cimetière de Maizy, tout à côté du lieutenant Le Bavillier : drôle de voisinage qu’a le brave camarade, et si jamais il pouvait parler, il se ferait entendre je crois. Le caporal évadé Moulia n’a pas été appréhendé encore ».

Le 18 juin : « Dans le courant de la journée on dit que le caporal Moulia a été arrêté (il s’agit d’une fausse nouvelle. NDR) dans les environs de Courlandon et qu’il aurait été exécuté illico. A son sujet des permissionnaires venant des environs de Pau disent que les civils de là-bas sont furieux et qu’un vent de révolte, d’indignation y souffle depuis son arrestation ».

Le 21 juin : « On dit que dans les environs de Pau, une collecte se fait en faveur des familles des militaires fusillés du 18e régiment et qu’elle aurait produit plusieurs milliers de francs. Je la trouve bien bizarre ».
[Dans Les Carnets de guerre d’Arnaud Pomiro Des Dardanelles au Chemin des Dames. Présentés par Fabrice PAPPOLA].

La manière dont le haut commandement réagit face à la crise
Le sous-lieutenant Arnaud Pomiro, dont l’unité, le 49e RI, opère dans le même secteur, évoque régulièrement l’activité du 18e RI, reprenant et commentant certaines décisions et annonces des autorités militaires relatives à ce régiment. On y perçoit la manière dont le haut commandement réagit face à la crise, sa volonté de la maîtriser par des déclarations et des mesures qu’il estime être de nature à influer favorablement sur le moral des soldats. Un discours et une communication qui jouent sur plusieurs registres : fierté, honneur, rappel au devoir et à la discipline mais aussi reconnaissance et récompense pour les services rendus.

Dès le 28, le colonel du 49e reçoit ses officiers pour les mettre « au courant des faits » et les engager « à relever et à maintenir le bon moral du troupier ».

Le 6 juin, Pomiro signale le communiqué officiel du général commandant en chef, très laudateur pour les unités engagées – dont le 18e RI- dans les combats des 4 et 5 mai à Craonne : « Les mêmes régiments qui s’étaient couverts de gloire en enlevant les 4 et 5 mai Craonne et les plateaux de Vauclerc et de la Californie ont fait de nouveau preuve d’une extrême vaillance dans la défense des positions qu’ils avaient conquises ». Le sous-lieutenant souligne d’un commentaire la singularité de cette déclaration du haut commandement : « C’est la première fois que des régiments sont désignés dans le communiqué officiel ». Plus haut, il signale que le général de division avait demandé que le texte du commandant en chef soit lu à toutes les troupes : « Les commandants de compagnie […] feront ressortir que l’honneur de pareils régiments est chose sacrée et que chaque soldat doit veiller sur lui comme le grand frère sur l’honneur de sa sœur ».

Le 7 juin, le jour même où le conseil de guerre juge les manifestants du 18e RI, le Bulletin des armées de la République annonce l’attribution de la fourragère au 18e pour deux citations à l’armée. A propos de la deuxième citation, qui a trait aux combats de Craonne des 4 et 5 mai, Pomiro s’étonne que le mérite du succès français ne soit pas partagé : « Et le 49e n’en a-t-il pas fait autant ? »

Le lendemain, 8 juin, il note que « le bataillon Masson du 18e, celui justement où les incidents se sont passés » va assurer la relève d’un bataillon du 49e au trou du sergent-major. Dans la nuit du 10 au 11 juin, le bataillon du 18e remplace en 1ère ligne sur le Plateau de Californie un bataillon du 34e.

Le 12 juin, qui est le jour de l’exécution à Maizy, le commandant en chef diffuse une circulaire « à faire commenter par les officiers. C’est là un document plein de clarté, de franchise et de fermeté tout à la fois – si on le compare à celui que le général Nivelle a fait paraître le 9 mai ». Pomiro l’évoque, le commente mais n’en donne pas le contenu.

Le même jour, il note : « un peloton du 34 remonte en 1ère ligne pour renforcer le 18e qui manque d’effectifs ».

Le 24 juin, il mentionne une note de service du quartier général, datée du 22 juin, et signée de Paquette, général commandant le corps d’armée : « Un individu a transmis de Paris à toutes les escouades d’un régiment d’infanterie […] une carte postale sous enveloppe portant au recto “camarade, souvenez-vous de Craonne“ et au verso un texte encourageant à déposer les armes fin juillet […] Faites saisir dans bureaux payeurs toute correspondance de cette nature […] Faites vérifier si un certain nombre de ces lettres n’ont pas déjà été distribuées ou saisies dans les unités sous vos ordres ».

Une note du même général, également le 22 juin, salue la citation à l’ordre de l’armée du régiment auquel appartient Pomiro : « Ainsi, c’est avec leurs drapeaux décorés de la croix de guerre que nos trois régiments quittent ce plateau de Craonne où – le communiqué l’a dit - ils se sont couverts de gloire […] Anciens qui avez pris le plateau de Californie, nouveaux venus qui, le 3 juin, y avez déjà fait vos preuves, toujours et partout, soyez dignes d’un si beau passé ».

On trouve ensuite dans les carnets du sous-lieutenant, alors que les trois régiment ont été retirés du secteur du front, les consignes soigneusement détaillées du quartier général pour, « les trois choses vont de pair », « se reposer », « amalgamer éléments anciens et nouveaux » et « reprendre l’instruction ».

Un véritable mode d’emploi. Le général Paquette y invite à « travailler assez pour éviter l’oisiveté » mais « ne jamais aller jusqu’à la fatigue car nous sommes là pour nous nous reposer ». Puis, il y insiste sur le rôle de « l’éducation » pour instruire le soldat dans « le courage et l’honneur », « la discipline », « le moral », « la confiance entre les cadres et la troupe ». Il demande de « surveiller les cabarets ». Il préconise de faire jouer « de la musique », « de faire chanter des airs populaires ».

Les officiers ont aussi pour recommandation dans de « brèves causeries » « d’élever les cœurs » : « On rappellera à nos hommes ce qu’ont fait les régiments dans nos dernières journées. On leur dira que l’honneur du régiment est confié à l’honneur de chacun ».

Chemin des Dames. Depuis l’été 1914 le front n’y a pas bougé, pas même d’un kilomètre

Fallait-il faire oublier l’affaire du 18e RI ?

On ne trouve pas trace de la mutinerie dans l’historique du 18e RI, comme le relève Rémy Cazals (4). L’historien souligne que les trois soldats fusillés apparaissent dans la liste des morts du régiment, sans autre précision que la date et le lieu de leur décès. Œuvre de l’Amicale des 18e et des 218e RI, publié en 1936 sous la direction du commandant Louis Lespinasse, cet historique évacue en un commentaire les événements survenus à l’arrière du front en mai et juin 1917 : « Un vent de défaitisme soigneusement entretenu par les ennemis de notre patrie » lequel –contre toute vérité– n’aurait pas affecté les combattants du 18e : « En récupérant leurs forces physiques, nos magnifiques soldats ne laisseront pas entamer leurs ressources morales malgré l’action occulte et bien réglée de quelques traîtres disséminés dans les cantonnements » [Dans Prosper VIGUIER Un chirurgien dans la Grande Guerre, carnet présenté par Rémy CAZALS].

Les tentatives pour obtenir la réhabilitation de LASPLACETTES et des autres soldats condamnés menées dans les années 1920 et 1930 n’ont pas abouti.

La requête en révision introduite par la famille Lasplacettes en 1925 est « rejetée par le garde des Sceaux », rapporte Denis Rolland dans La Grève des tranchée. Quant à la Ligue des Droits de l’Homme qui, en 1935, entame une procédure pour obtenir la réhabilitation de tous les condamnés, en se fondant sur le caractère aléatoire de la désignation de quelques meneurs parmi « les centaines de mécontents », elle échoue également dans sa démarche.

Avec les recherches effectuées et les travaux publiés depuis le début des années 1960, les révoltes de mai et juin 1917 sont désormais véritablement considérées dans la perspective du cours de la guerre (5). Elles sont réintroduites dans un contexte dont la prise en compte est absolument indispensable à la compréhension des événements.

Le refus du 2e bataillon du 18e RI à Villers sur Fère le 27 mai 1917 ne peut être appréhendé si, notamment, on le dissocie des faits qui le précèdent immédiatement : sur le front du Chemin des Dames, du 3 au 5 mai, ce régiment subit des pertes très lourdes dans la prise des plateaux de Californie et de Craonne. Certains de ses combattants ont à ce moment-là 30 mois de campagne à leur actif. C’est le cas de Jean-Louis LASPLACETTES. C’est la 3e fois que son unité opère dans ce secteur depuis l’été 1914 et le front n’a pas bougé, pas même d’un kilomètre ! Elle est à Craonne, Vauclerc, Hurtebise en septembre 1914, elle est à Oulches, aux creutes (Caverne du Dragon) en janvier 1915, elle est Craonne à nouveau en 1917 lors de l’offensive Nivelle, comme le rappelle le Monument dit des Basques érigé sur le plateau du Chemin des Dames par les anciens de la 36e division.

Damien Becquart

1. ROLLAND Denis. La Grève des tranchées les mutineries de 1917. Postface Nicolas OFFENSTADT. Paris, Imago, 2005. 448 pages.
2. OFFENSTADT Nicolas. Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-199). Paris, Odile Jacob poches, 2002. 350 pages.
3. Les Carnets de guerre d’Arnaud Pomiro Des Dardanelles au Chemin des Dames. Présentés par Fabrice PAPPOLA. Préface Rémy CAZALS. Toulouse, Privat, Témoignages pour l’histoire, 2006. 392 pages.
4. Prosper VIGUIER Un chirurgien dans la Grande Guerre. Carnet présenté par Rémy CAZALS. Toulouse, Privat, Témoignages pour l’histoire, 2007. 158 pages.
5. La prise de parole de Lionel Jospin à Craonne le 5 novembre 1998, les démarches entreprises par les descendants de fusillés, l’initiative des collectivités territoriales*, la prise de position du président de la République le 11 novembre 2008 allant dans le sens de celle du Premier ministre en novembre 1998, ont été facilitées par le recul du temps et l’influence de ces travaux.
*Conseils généraux et communes notamment. Voir le vœu adopté le 16 avril 2008 par le Conseil général de l’Aisne, sollicitant la possibilité de faire porter le nom des « condamnés pour l’exemple de la Grande Guerre » sur les monuments aux morts, vœu repris et voté ensuite par les Conseils généraux du Doubs puis de la Corrèze).

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Message  David.H 4/3/2014, 12:45

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